Entretien avec Bruno Cavagné, président de la FNTP

Bruno Cavagné_FNTPLa FNTP lance une campagne d’information inédite auprès des décideurs politiques et fait le choix de la pédagogie.

Seulement six mois pour démontrer le rôle crucial que jouent les infrastructures dans la compétitivité de la France. Six mois pour présenter à tous les candidats aux élections présidentielles un programme comprenant 12 propositions, et leur donner les clés pour comprendre et savoir expliquer à leurs interlocuteurs les principaux bénéfices d’un investissement massif dans les infrastructures. Bruno Cavagné, président de la Fédération Nationale des Travaux Publics, fait le point sur les enjeux de Réinvestir la France

La pénurie des projets d’ampleur en France oblige à poser la question de la disposition de l’Etat et des responsables politiques à investir stratégiquement dans les infrastructures. Qu’en dites-vous ?

Quand on parle infrastructures, les élus ne comprennent pas toujours de quoi il s’agit. Dans l’esprit des gens, les infrastructures se confondent souvent avec les autoroutes qui sont, pour la plupart, concédées et qui sont bien entretenues. Mais, pour les autres infrastructures, la situation est souvent dégradée par faute d’entretien et de sous-investissement : fuites d’eau, coupures d’électricité, dégradation du réseau routier, nécessité de remise en état du réseau ferroviaire, l’ampleur des travaux et des besoins d’investissement est considérable. 

Tout mon travail, c’est de dire que l’infrastructure ce n’est pas que la route, c’est aussi les infrastructures que l’on ne voit pas et qui participent également à l’attractivité et à la qualité de vie : l’eau, l’assainissement, le très haut débit, …  Pour renforcer notre compétitivité, réussir la transition écologique et restaurer la cohésion sociale et territoriale au service de tous les citoyens, nous devons engager un plan d’investissement sur les réseaux et les infrastructures.

Nous avons sous-entretenu et sous-investi ; nous avons ainsi dégradé le niveau et la qualité de nos infrastructures. C’est une « dette grise » qui s’est constituée et qui pèsera sur les générations futures : nous aurons à beaucoup investir, dans les prochaines années, pour remettre à niveau ce patrimoine d’infrastructures.

Un récent rapport du Medef évalue ce besoin d’investissement à 10 milliards d’euros par an. Nous avons estimé, dans un rapport de la FNTP sur la croissance verte, que les investissements nécessaires pour répondre au défi de la transition écologique représentent à eux seuls 8 milliards par an. L’OFCE affirme, par ailleurs, que la France doit réinvestir pour redresser sa croissance et démontre l’effet d’entraînement de l’investissement public sur l’investissement privé.

Comme vous le soulignez les indicateurs d’alerte sont de plus en plus nombreux et doivent amener à prendre des décisions audacieuses et courageuses. Comment pensez-vous pouvoir retourner la situation et convaincre les décideurs politiques d’investir ?

Les infrastructures constituent le système sanguin de l’économie. C’est grâce aux infrastructures que les biens et les personnes circulent. Les infrastructures favorisent les échanges, abaissent les coûts et augmentent la productivité. Investir dans les réseaux et les infrastructures permet d’avoir un tissu industriel solide et robuste, d’attirer les investissements, de favoriser l’insertion des jeunes, de retrouver des perspectives réelles de croissance et d’emploi.

Il s’agit de Réinvestir la France par ses territoires, dans le cadre d’une gouvernance moderne et cohérente faisant le choix de l’utilité économique et sociale des infrastructures et impulsant un nouveau modèle productif, social et écologique.

D’ici l’élection présidentielle, nous devons convaincre les candidats que la France ne retrouvera une prospérité durable que si elle mise durablement sur les infrastructures et sur la richesse de ses territoires.

Pour ce faire, nous lançons une campagne intitulée Réinvestissons la France. Notre projet est fondé sur le triptyque croissance verte, compétitivité, cohésion sociale et territoriale. Il recense 12 propositions très concrètes et formalisées jusqu’aux textes de loi.

Depuis septembre, nous rencontrons les candidats et leurs équipes pour vérifier que leurs programmes contiennent bien ces éléments qui nous paraissent essentiels, car nous devons être dans le premier train des réformes.

Le 23 février prochain, nous réunirons au carrousel du Louvre les principaux candidats à l’élection présidentielle, de nombreux élus de collectivités locales ainsi que 3 000 personnes issues du monde de l’entreprise ou de l’économie. La journée sera consacrée à échanger sur le lien entre infrastructures et croissance, à mettre en évidence la dégradation de nos réseaux et infrastructures et à présenter nos propositions.

Concrètement quelles propositions formulez-vous dans le programme Réinvestissons la France ?

Le programme Réinvestissons la France formule douze propositions articulées autour de trois axes principaux : la gouvernance, un pacte de stabilité avec les collectivités locales, les modalités de financement.

La gouvernance : Nous souhaitons créer une véritable gouvernance des infrastructures et proposons l’instauration d’un Conseil d’Orientation des Infrastructures rattaché au Premier ministre.

Il est indispensable que l’Etat retrouve son rôle d’Etat stratège et aménageur et définisse une politique d’aménagement du territoire pluriannuelle de 5 à 10 ans permettant de restaurer la compétitivité de la France et l’attractivité des territoires.

Un Pacte avec les collectivités : Nous recommandons de conclure un pacte de confiance et de stabilité avec les collectivités locales selon un principe de responsabilité fondé sur un mécanisme du bonus/malus. Il s’agira de diminuer les dotations aux collectivités qui ne maîtrisent pas leurs dépenses de fonctionnement et de les augmenter pour celles qui investissent.

Les modalités du financement : Face à la maîtrise des dépenses publiques, le financement des infrastructures pourrait être repensé. Une partie de ce financement pourrait relever de l’usager sous réserve qu’il ne paie pas une deuxième fois en tant que contribuable.  Cette nouvelle orientation suppose une meilleure compréhension du coût des infrastructures et une bonne affectation des ressources prélevées sur l’usager.

Je suis très confiant car les mentalités évoluent. Les infrastructures peuvent jouer un rôle très important dans le projet global de société.

La pédagogie est donc devenue notre leitmotiv, la préoccupation essentielle de notre stratégie !

 

Propos recueillis par Pascale Meeschaert

 

 

Conséquences de la loi NOTRe dans les domaines de l’eau

A la veille du Salon des Maires et alors que la France sera l’hôte de la COP 21, le plan de réduction des dépenses publiques sur trois ans pèse lourdement sur les investissements stratégiques des communes et fragilise l’application des directives européennes concernant la protection de la ressource en eau. Philippe Laurent, vice-président de l’AMF, maire de Sceaux, vice-président du SIAAP et président de la Commission des finances et de la fiscalité de l’AMF, et Denis Minot, DGS du syndicat des eaux de la Charente-Maritime démontrent l’importance d’un réseau d’eau de qualité pour répondre aux enjeux environnementaux et reviennent sur les regroupements de commune introduits par la loi NOTRe.  

Philippe LaurentInterview de Philippe Laurent,
Secrétaire général de l’AMF,
Maire de Sceaux et président de la Commission des finances et de la fiscalité de l’AMF

Comment faire prendre conscience aux collectivités de la valeur du  patrimoine des réseaux d’eau, et de la nécessité d’y consacrer les moyens nécessaires (en entretien, en renouvellement) ? D’autant que si on se réfère à la directive européenne sur le renouvellement des réseaux d’eau potable et d’assainissement, la France n’est pas conforme du moins au niveau de l’assainissement.

Malgré certains retards pris dans l’application des directives européennes concernant la protection de la ressource en eau, la France a réalisé, ces dernières années, de nombreux progrès en matière de traitement de l’eau, tant en matière de potabilisation, que de préservation des milieux naturels.

Les élus locaux sont bien conscients de l’importance d’un réseau d’eau de qualité pour répondre aux enjeux environnementaux. Le grand chantier d’inventaire et de rénovation des réseaux d’eau, obligatoire pour les services depuis 2013 (loi dite « Grenelle 2 ») a amplifié cette prise de conscience. Cependant, cette rénovation, même nécessaire, entraîne des investissements supplémentaires difficilement supportables dans le contexte actuel.

La rénovation ou la construction d’équipements de grande ampleur, tels que les stations d’épuration ou les réseaux d’eau, dont la durée de vie est très longue, ne trouvent pas de financement par emprunt sur une durée suffisante (30 à 50 ans). En outre, la « diabolisation » de la dette publique et la confusion entre déficit de fonctionnement et financement de l’investissement dans le calcul des critères de Maastricht découragent les élus locaux de recourir à l’endettement. Il faut signaler également les ponctions récurrentes et injustifiées de l’Etat sur le budget des agences de l’eau, qui fragilisent ces dernières et assèchent leurs financements.

La réorganisation des compétences en matière d’eau potable et d’assainissement suite à la Loi Notre constitue-t-elle pour vous un signal positif en faveur de la préservation du patrimoine que représentent les réseaux d’eau et d’assainissement ?

Pour les élus locaux, l’enjeu en matière de gestion de l’eau consiste à maintenir la qualité du service et la modernisation des équipements tout en maîtrisant le prix de l’eau dans le contexte difficile que nous connaissons.

A cet égard, la mutualisation pourrait permettre des économies. Sur le fond, l’AMF partage les objectifs fixés par la loi NOTRe de rationalisation et de mutualisation afin de garantir la fourniture d’un service d’eau et d’assainissement de haute qualité à coût maîtrisé, tout en préservant la ressource et permettant la mise en œuvre d’une solidarité entre les territoires.

L’AMF a d’ailleurs conduit sur ces sujets des actions visant à promouvoir les communes nouvelles. En revanche, il est inconcevable que cette mutualisation se fasse de manière obligatoire et forcée.

Ces nouveaux transferts de compétences obligatoires à partir de 2020 auront des conséquences importantes pour les communes en termes de réorganisation des modes de gestion ou de financement. En effet, le périmètre des communautés ne coïncide pas nécessairement avec celui d’une utilisation optimisée de la ressource en eau, ce qui ne rend pas cohérent cet objectif de rationalisation prôné par la loi NOTRe. Le périmètre des intercommunalités, fixé à 15 000 habitants, couvrira des territoires très étendus en milieu rural qui ne correspondra pas forcément avec la disponibilité de la ressource. L’AMF dénonce cette volonté de tout « normer » sans tenir compte des réalités du terrain et cette absence de confiance à l’égard des pouvoirs locaux.

Le fonds de compensation TVA (FCTVA) donne la possibilité aux communes d’utiliser le remboursement anticipé de la TVA afin de financer le « marché de base » des fabricants de canalisation (petits travaux de remplacement de canalisations…). Avec la Loi Macron, la Caisse des dépôts ou BPI fournissent ces liquidités. En pratique est-ce que cela fonctionne ? 

Ce mécanisme de prêt relais fonctionne à la marge et ne présente qu’une utilité excessivement réduite. Il ne s’agit pas de répondre à notre demande d’avancer le remboursement définitif de la TVA. Le mécanisme conduit seulement à augmenter notre endettement, au risque de nous faire à nouveau montrer du doigt comme de mauvais élèves ! Nous n’avions pas de problèmes de trésorerie pour le moment, mais d’effondrement de notre capacité d’autofinancement. C’est sur ce point que nous alertons l’Etat. 

 

Interview de Denis Minot, DGS syndicat des eaux de la Charente-Maritime 

Photo Denis Minot

La réorganisation des compétences en matière d’eau potable et d’assainissement suite à la Loi NOTRe constitue-t-elle pour vous un signal positif en faveur de la préservation du patrimoine que représentent les réseaux d’eau et d’assainissement ? 

Un des objectifs de la loi NOTRe est d’améliorer la performance et la qualité du service public rendu en réduisant l’émiettement des structures compétentes. Elle vise à transformer le paysage de l’intercommunalité pour conduire des projets d’équipement public, notamment d’eau potable et d’assainissement, dans une forme de mutualisation au sein d’établissements publics de coopération intercommunale EPCI à fiscalité propre ou de syndicat mixte de grande taille. Cette réforme est assez complexe. Elle aura un impact fort en termes de réorganisation technique et fonctionnelle car elle bouleverse la gestion du domaine de l'eau et de l'assainissement dont l’organisation est principalement communale ou exercée par des structures spécialisées à l'échelle de petits syndicats d'eau.

Quel sera son impact notamment sur les petits syndicats ? Va-t-on aller vers davantage de mutualisation ?

A brève échéance, les petits syndicats seront amenés à disparaître puisque les compétences seront transférées à minima à un EPCI, sauf si un syndicat regroupe trois EPCI à fiscalité propre. Une fois passée la phase de réorganisation qui risque toutefois de ne pas être profitable à l'investissement public dans un premier temps, les effets de la mutualisation permettront de rendre un meilleur service aux usagers si on arrive à un partage équilibré entre les territoires ruraux à faible densité de population et les territoires urbains plus denses.

De plus, il ne faut pas oublier que c’est l’hydrogéologie locale, c'est-à-dire la disponibilité de la ressource en eau en sous-sol ou en surface qui conditionne l’organisation optimale des services d’eau potable. Les EPCI, dessinés selon les bassins de vie ou les bassins économiques, ne seront pas forcément les territoires administratifs pertinents pour gérer un service d'eau.

Cette réforme doit être accompagnée de beaucoup de pédagogie et il faudra savoir réinventer une gouvernance décentralisée, plaçant les élus locaux au cœur des décisions. Dans les petites communes, ces sujets sont des sujets de terrain où les administrés connaissent leur maire et interviennent directement auprès d’eux pour les éventuels désordres.

Quelle expérience tirez-vous du regroupement des syndicats locaux dans le syndicat des eaux de Charente-Maritime ?

La démarche de mutualisation s’est conçue naturellement en raison du mode de fonctionnement historique basée sur une redevance syndicale unique et de l’organisation mise en place : le syndicat départemental assurait l'essentiel de la maîtrise d'ouvrage ; les syndicats d’eau locaux étaient des relais utiles mais qui fonctionnellement et juridiquement n’avaient plus beaucoup d’activités. Ils ont été dissous. Il a fallu bien sûr convaincre les élus et surmonter quelques obstacles pour favoriser la convergence. Mais depuis janvier 2014, à la suite d’une réforme statutaire, notre expérience confirme la cohérence et l’efficacité d’un schéma d’aménagement mutualisé privilégiant une gouvernance pertinente c’est-à-dire décentralisée.

Les syndicats des eaux ont généralement des finances équilibrées et ne sont pas endettés mais de plus en plus de banques sont réticentes à leur accorder des emprunts, notamment à cause d’une mauvaise compréhension des échelons. Votre syndicat est-il impacté ?

Aujourd’hui l'accès à l'emprunt est assez facile. Les collectivités jouissent d’une offre de crédit large allant de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui dispose d'une enveloppe importante de 20 milliards d’euros pour accompagner des équipements d’infrastructure dans les domaines de l’eau et de l’assainissement, à la Banque européenne d'investissement (BEI), la Société de Financement Local (Sfil) et la Banque Postale. De mon point de vue,  les syndicats d'eau ne sont pas surendettés et la question du crédit bancaire n’est pas un problème insurmontable à ce jour.

De plus, les agences de l'eau nous accompagnent aussi sous forme d'avances remboursables, donc de prêts à taux zéro, ce qui nous permet de dégager de la disponibilité financière pour réaliser des opérations d'envergure pour autant qu’elles soient éligibles. A contrario, la baisse des dotations  des collectivités susceptibles de cofinancer les ouvrages d’eau ou d’assainissement (départements, régions) pourraient les amener à réduire leurs subventions.

Comment procédez-vous à votre échelle pour financer vos projets ? Cela pourrait-il avoir à terme un impact sur le prix de l’eau ?

Dans le domaine de l'eau potable, le syndicat des eaux de Charente Maritime s’est engagé dans une politique de gestion patrimoniale ambitieuse, compatible avec les objectifs de sécurité et de continuité de service qu’il s’est fixé. Après une décennie de grands travaux sur les infrastructures de production et transport de l’eau potable, les élus ont privilégié une politique de stabilité tarifaire et de désendettement. Le prix de l’eau est constant depuis cinq ans  et nous dégageons de la capacité d’investissement tous les ans en réduisant la dette. En huit ans, le budget de renouvellement des réseaux a ainsi été multiplié par trois.

Concrètement au quotidien, comment faites-vous pour prioriser les travaux et les dépenses dans le périmètre du Syndicat des eaux ? Emprunt, suppression d’investissements, prolongement des délais de renouvellement…?

Au total, le patrimoine du Syndicat des Eaux représente 12 000 km de réseaux d'eau potable et nous avons une connaissance très fine de l’âge des conduites. Les outils prédictifs et les indicateurs techniques que l'on peut exploiter (rendement de réseaux et indice linéaire de perte) nous donnent une vision globale de la démarche à conduire ainsi que des repères chronologiques et méthodologiques. Le territoire départemental a été découpé en commissions territoriales. Tous les indicateurs de performance sont étudiés collégialement avec les élus (les endroits où se situent les points faibles, l’état du patrimoine aujourd'hui, la pyramide d'âge du patrimoine pour les prochaines décennies),  pour hiérarchiser les interventions et organiser la programmation des travaux en autofinancement même si le recours à l’emprunt reste possible si nécessaire.  Cette mutualisation facilite la mise en œuvre des opérations de renouvellement de réseau sur un territoire parfois extrêmement rural avec des faibles densités de branchement. Elle permet de déployer rapidement les travaux que des communes rurales isolées ne pourraient pas financer.  L’augmentation des durées d’amortissement des réseaux que nous posons aujourd’hui et que nous poserons demain peut être une question pertinente et pour cela nous avons besoin de produits de qualité qui durent le plus longtemps possible.

 

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