Depuis la création des régions en 1963, seules trois évolutions notables ont eu lieu dans les territoires. En 1982, la première loi dite de « décentralisation » les a reconnues en tant que collectivités territoriales. Entre 1982 et 2004, les régions se sont vues progressivement attribuées de nouvelles compétences. Le 28 mars 2003, l’autonomie financière des collectivités territoriales a été constitutionnalisée.
Les nouvelles orientations prises en faveur d’une nouvelle étape vers la décentralisation avec la création des métropoles, le redécoupage des régions, l’absorption des syndicats par les communautés, associées à la quatrième ponction du budget des agences de l’eau font craindre de lourdes conséquences pour la profession des industriels du transport de l’eau et de l’assainissement déjà bien touchée par la crise.
A l’initiative d’ITEA, Jean Launay, député du Lot, président du Comité National de l’Eau, co-président du Cercle Français de l’Eau et Charles-Eric Lemaignen, Président de la Communauté d'agglomération Orléans Val de Loire et Président de l’Assemblée des communautés de France (ACDF) ont analysé les enjeux de la nouvelle organisation territoriale et livré leurs réflexions sur les conséquences financières et pratiques de la réforme pour le domaine de l’eau.
Vous posez la question en termes de stabilité ; alors que tout l’environnement administratif et politique génère instabilité et donc inquiétude. Je pense, que le mot réforme génère en lui-même crainte et /ou frilosité. Et quand on les engage : Ou bien on se pose des bonnes questions mais à contretemps et on ne va pas jusqu'au bout. Ou bien on part sur des faux problèmes, ou alors avec des visions erronées.
En l'occurrence, je n'ai jamais compris le discours qui consiste à dire qu'il y a trop de niveaux de collectivités, et qu’on ne s'y retrouve pas. Je considère que les départements et les conseils généraux sont des échelons de proximité qui sont indispensables. En disant cela, Je n'ai pas la ruralité pleureuse, je n’ai pas la ruralité honteuse, je cherche à coller une réalité qui a du sens pour nos concitoyens. Et dans cette réforme, sous prétexte d’échelons de trop, parce qu'on n’avait sans doute pas suffisamment travaillé sur la notion de chef de file, et qu'il fallait accepter de revenir sur la clause de compétence générale, on est en train de démolir un équilibre, d'une part géopolitique et d'autre part sociétal de notre pays. Outre de l'inquiétude, cette réforme si elle va jusqu’au bout, générera de l'éloignement sans pour autant, je pense, générer des économies.
Au centre du soutien à l'économie du territoire, les régions devront anticiper les mutations d'avenir et gérer directement les infrastructures clés : énergie, transports, tourisme etc. Quelle place l'état du patrimoine des réseaux en France détiendra t-il dans le schéma de développement des infrastructures des régions ? Quel est l'avenir des syndicats d'eau et d'assainissement dans cette nouvelle organisation ?
La question de la rationalisation des services d'eau et d'assainissement est un des axes de la feuille de route du gouvernement, tiré de la conférence environnementale de septembre 2013. Il y a 17 000 services d'eau et d'assainissement en France pour 36 700 communes.
Mais personne ne s'est encore attaqué à cet axe de travail. Dans les CDCI, commissions départementales de coopération intercommunale, on a supprimé les communes isolées et supprimé les communautés de communes d'une taille inférieure à 5000 habitants. On parle désormais de passer la maille à 20 000. On assiste donc à deux phénomènes : des phénomènes de résistance d’une part et d’autre part le phénomène « big is beautiful » cherchant à tout prix à faire de grosses communautés.
Personne ne s’est encore attaqué à la question des syndicats intercommunaux. Or, la vraie simplification dans les domaines de l'eau et de l’assainissement, et plus généralement dans le domaine des compétences techniques, réside, à mon sens, dans la maille départementale. C’est à cette échelle que les solutions techniques devraient être organisées et montreraient leur efficacité.
Dans la vision qu’est la mienne de l'organisation du territoire, je veux maintenir la proximité. Je pense que les communautés de communes ne doivent pas être dotées des compétences techniques. Ne transférons pas ces compétences techniques aux communautés de communes, qui auront d’abord à cœur de faire bonifier leur coefficient d’intégration fiscale. Aujourd'hui, ces compétences sont portées par des syndicats intercommunaux trop éclatés en effet. Regroupons-les à une maille départementale dans des syndicats mixtes ou des EPIC. Ce modèle n'est sans doute pas transposable partout. Cependant sur une grande partie du territoire, la maille départementale reste la solution optimale.
Prenez les réseaux d'eau, le Grenelle a initié un certain nombre de mesures pour déclarer des captages prioritaires, garantir la qualité de l'eau, la quantité. On a des réseaux de deuxième génération qui se mettent progressivement en réseau eux-mêmes. Accélérons tout cela. La maille départementale permet de fédérer, d’organiser en réseau, de sécuriser les approvisionnements, de mutualiser, et d’harmoniser les prix. C’est vrai pour l'eau, c'est aussi vrai pour l'assainissement non collectif, et pourrait être vrai pour l'assainissement. Cette organisation existe déjà pour certains services, et notamment pour les services de distribution d'électricité. A titre d’exemple, la FDEL, Fédération Départementale d'Electricité du Lot regroupe les syndicats primaires d'électrification et continue d’associer les représentants de ces syndicats et donc des communes qui les composaient dans sa gestion.
J’ajoute qu’à cette échelle, il y aurait une vraie vision d'harmonisation et un lien de proximité qui permettrait d'assurer le maintien d'une respiration démocratique locale forte. Les conseillers municipaux qui s’impliquaient dans l’exercice de ces compétences techniques pourraient continuer de le faire ; l’intégration de ces compétences dans de grandes intercommunalités les en priverait de fait puisque seul, le Maire, pour les petites communes représente sa commune.
S’agissant de l’inventaire du patrimoine, le Grenelle 2 offre une vraie lisibilité de ce qu'il faut faire, des urgences, de la planification des travaux et une lecture des marchés futurs pour les entrepreneurs du secteur du bâtiment et des travaux publics. Or aujourd’hui, l’émiettement des services techniques est tel que leurs responsables n'en mesurent ni la nécessité ni l'urgence.
Seulement 15 % des syndicats ou des collectivités ont réalisé le descriptif détaillé des réseaux à fin 2013. L’inventaire du patrimoine impose donc de définir un schéma d’organisation future réaliste, dont le département en qualité de chef de file assurerait les responsabilités de coordinateur aux niveaux techniques et logistiques et serait la clé d’une action efficace et d’un changement d’échelle.
Quels sont les points forts et les points faibles de la réforme territoriale pour le petit cycle de l'eau ?
La coupure de l'implication communale des élus constitue un risque important. En effet, les maires des petites communes devront à la fois être maires et représenter leurs communs seuls, sans s’appuyer sur les compétences techniques – si celles-ci passaient en outre aux mains des communautés de communes – dans une grande communauté de communes de 20 000 habitants voire plus.
Les régions vont gagner en force sur le territoire de la compétence économique. Personne ne conteste le fait qu’elles sont en première ligne pour l’organisation des zones économiques d'intérêt régional et les implantations d’entreprises. Pour autant, les présidents de région ne rêvent pas de gérer les voiries, ni les transports scolaires ! Il y a donc une proximité à entretenir qui nécessite de conserver la maille départementale, et donc l'échelon du conseil départemental ou conseil général.
Derrière cette réforme, l’état souhaite faire des économies (suppression des doublons (entre régions et départements), rationalisation des services (entre deux régions, entre communes et intercommunalités), concentration des moyens. Cette réforme comporte des conséquences économiques graves. La dérégulation profite toujours au « gros » et n'encourage pas la recherche de technologies innovantes. C'est donc à un débat très contradictoire que nous assistons. L’état entend privilégier la volonté de maintenir le tissu des PME et favoriser l'emploi local, mais les dispositions retenues ne sont en faveur que des « gros », des majors, de la compétitivité, et du seul critère du prix tiré vers le bas !
En résumé, quand on parle de simplifier, de rationaliser, on imagine des sources d'économies là où elles n’existent pas. On ne se pose pas les questions de la bonne organisation qui permettrait effectivement de faire des économies. Il y a une vraie cohérence entre les modes d'organisation. Selon les sujets dont on s’occupe, on n'a pas forcément besoin de reproduire le même modèle partout. Nous avons là une belle occasion de faire vivre le droit à l'expérimentation !
Le débat sur la réforme territoriale est présenté au Sénat à l'automne et je m'attacherai à porter ces idées à cette occasion.
La rigueur budgétaire affecte une fois encore les agences de l'eau. Quels sont les risques à craindre pour les usagers locaux et les politiques conduites par les agences dans les territoires ?
La ponction des budgets des agences de l'eau est un réel problème que je continue de dénoncer. Je l'ai fait en commission des finances. Je le ferai cette semaine dans l'hémicycle car après une « contribution exceptionnelle » de 210 millions d’euros en 2014, les six agences de l’eau seront ponctionnées une nouvelle fois de 175 millions par an de 2015 à 2017, à la faveur de l'article 16 de l'article de la loi de finances dans le cadre du plan d’économies décidé sur les budgets, des collectivités et des opérateurs de l’Etat. En 4 ans, on aura capté 750 millions d'euros, soit presqu’un milliard d’euros sur les fonds de roulement des agences. Or, les dépenses des agences sont des dépenses d'intervention. 92 % des budgets des agences sont de l'investissement direct dans le secteur des entreprises, pour des travaux de toute nature, petit cycle ou grand cycle.
Cette nouvelle ponction n'affecte plus seulement le fond de roulement comptable des agences de l'eau puisqu'elles vont être obligées de réviser leurs programmes d'intervention en cours.
Pour cette raison, j'ai proposé d'élargir le champ d'intervention des agences de l’eau et j’ai porté dans le texte sur les métropoles la compétence GEMAPI (gestion de l'eau, des milieux aquatiques et prévention des inondations). Partout en France, de nombreux élus se sont emparés des sujets de lutte contre les inondations, et des sujets de préventions qui nécessitent des interventions financières importantes sur le terrain, nécessitant la création des syndicats mixtes, des EPAGES (Etablissement Public d’Aménagement et de Gestion de l’Eau).
Résultat des courses, c'est la double peine pour les agences de l’eau ! Car non seulement elles héritent de la compétence GEMAPI dont la mise en œuvre pourrait être coûteuse, mais elles sont affectées par de nouveaux prélèvements ! Je continuerai donc à dire que les conséquences immédiates de ces mesures pèsent sur la poursuite des chantiers engagés par des collectivités, nourrissent l'affaiblissement de la croissance et alimentent le risque déflationniste de la France.
Vous pouvez compter sur mon engagement et ma détermination pour la cause de l’eau, de notre environnement et l’écoute de tous les acteurs de la politique de l’eau ; mon rôle de Président du Comité National de l’Eau m’y oblige !
Propos recueillis le 14 octobre 2014 par Pascale Meeschaert
Dans quelle mesure la réforme territoriale constitue t-elle la nouvelle donne financière des collectivités locales ? De quelles marges de manoeuvre budgétaire et financière disposeront les collectivité pour réaliser leurs projets de territoire ?
Depuis avril 2014, les nouvelles équipes municipales et communautaires sont en place. Elles travaillent à leur budget 2015 et plus globalement à leur plan prévisionnel d’investissement pour les 6 prochaines années. Le plus souvent, la compétence concernant l’eau et l’assainissement est confiée aux intercommunalités, qu’il s’agisse de communautés de communes ou d’agglomération. La plupart de ces intercommunalités élaborent en début de mandature leur projet de territoire. Or, elles le font dans un contexte totalement flou :
1. Elles ne connaissent pas leur périmètre géographique : le projet de loi qui sera déposé en décembre prochain au Sénat va préciser le seuil de population minimal de 20 000 habitants prévu dans le projet de texte gouvernemental pour les intercommunalités. Je précise qu’aujourd’hui 1500 soit 70% des communautés sont sous ce seuil ! Cela va donc entraîner un large bouleversement du périmètre de toutes les intercommunalités. On ne sait pas encore quelles seraient les dérogations au seuil des 20 000 habitants et le travail des commissions départementales ne commencera qu’après pour se terminer fin 2015.
2. Elles ne connaissent pas leurs futures compétences : la réforme initiale devait privilégier le couple Régions-Intercommunalités. Or, on commence par déstabiliser les régions en augmentant leur taille et en imposant des regroupements largement contestables. Le maintien d’un niveau intermédiaire qu’est le département est renforcé par la création de très grandes régions. Enfin, il est paradoxal de définir les périmètres avant de définir les compétences, le « qui fait quoi». La méthode apparaît donc contradictoire avec l’objectif affiché. Aujourd’hui, le gouvernement envisage trois types de « nouveaux départements » selon le caractère plus ou moins urbains de leur territoire. Quelle lisibilité pour nos concitoyens ? Quelle force juridique auront les schémas régionaux et comment sera assurée leur co-élaboration avec les grandes communautés ? Qui (les régions, les intercos ou les départements en partie conservés) va exercer les compétences jusque là exercées par les départements ? La réponse devrait nous être donnée par le parlement au premier semestre 2015 mais l’incertitude reste forte.
3. Enfin, les perspectives financières sont inquiétantes. Bien sûr, les collectivités doivent participer à la réduction des déficits publics. Elles ne peuvent rester un îlot isolé de prospérité dans un océan de contraintes financières. Et la réduction de leurs moyens financiers sera durable pour de multiples raisons. Mais la potion qu’on leur prépare est bien amère !
Entre 2014 et 2017, c’est 12,5 milliards € de réduction des dotations de l’Etat qui est prévue c'est-à-dire près du tiers de la dotation globale de fonctionnement (40 M€). Tout cela est beaucoup trop brutal. Or les collectivités locales représentent 71% du total des investissements publics (hors défense). De plus, le bloc local (communes et intercos) qui porte en maîtrise d’ouvrage 80% de ces investissements se trouve en bout de chaîne. Aux réductions des dotations de l’Etat s’ajoute la diminution des moyens des agences de l’Etat et tout particulièrement des agences de l’eau, et la réduction des subventions régionales et départementales. C’est donc un bon tiers de leur épargne qui va disparaître en 2017 ! Je l’ai calculée à 7 milliards € de moins en 2017 pour le bloc local. Et tout cela serait peut être gérable s’il n’y avait pas encore des transferts de compétences de l’Etat non financés, je pense tout particulièrement à la nouvelle loi GEMAPI sur les berges et inondations confiées désormais aux intercommunalités ! Dans ce contexte, la simplification des normes est un enjeu essentiel y compris dans le domaine clé de l’environnement. De la même manière, il sera indispensable de réfléchir ensemble sur la tarification des politiques du « Grenelle » et en particulier de l’eau et de l’assainissement en tenant compte du grand cycle de l’eau.
On le voit, tout cela mettra nécessairement du temps pour se stabiliser.
Vous le savez mieux que quiconque, l’incertitude est l’ennemi de l’investissement et on ne peut investir que si on a de l’épargne !
Bien sûr, nous comprimons l’évolution de nos dépenses de fonctionnement même si la demande sociale est plus forte que jamais, bien sûr nous lançons des processus de mutualisation, de rationalisation mais cela ne produit des effets que progressivement.
Aussi, le risque d’un effondrement de l’investissement est réel. Une étude de la banque postale parue mi octobre indique que les investissements des collectivités locales baissent de 7% en 2014. Je crains que l’année 2015 soit une année noire pour l’investissement local.
Propos recueillis le 23 octobre 2014